[Voilà une de mes nouvelles, écrite il y a quelques années maintenant, la première des 24 nouvelles de mon recueil -
Requiem - et ... la seule que j'ai le droit de diffuser à vrai dire ! ^^]
La Création
« Ne dites pas mourir, dites naître. »
Victor Hugo
Blanc. Un seul mot. Une seule couleur. Un seul souvenir. Blanc et puis … rien d’autre. Absurde… Le monde dans lequel Gaïa venait d’ouvrir les yeux était plus noir que les ténèbres infernales. Noir et mort. Le sol était dur et sec, sans la moindre touche de vie. Rien que des cailloux, recouverts par une suie épaisse. Et des montagnes. Des montagnes dont la cime se perdait dans le ciel sans vie et sans couleur. Et pourtant, une étrange clarté, violente et dérangeante lui embrasait le visage. Elle était perdue, sans souvenir, sans passé, sans futur apparent. Rien que ce mot qui l’obsédait et résonnait dans sa tête comme un cri. Blanc !
Alors elle se leva, et elle marcha…
Loin, trop loin de là, Phoebus regardait le ciel tristement blanc qui veillait sur le monde dans lequel il venait de s’éveiller. Dans sa tête, un cri, profond, violent. Noir ! Et puis … rien d’autre. Comme si sa tête s’était vidée de son contenu, comme s’il n’existait que par ce cri, que pour ce cri. Un cri insensé pour le monde enneigé où il se trouvait. Un monde glacé et terrifiant de pureté. Il avait froid, il avait peur, d’immenses montagnes de glace l’entouraient, lui barrant le passage. Noir ! Il ne savait même plus ce qu’était le noir… Noir !
Alors il se leva, et il marcha…
La chaleur, intense et étouffante, lui brûlait les yeux, le noir incessant lui donnait la nausée mais Gaïa marchait sans cesse, épuisée mais audacieuse, à la recherche de son salut. Elle gravissait les montagnes, hautes à toucher le soleil noir, d’un pas qu’elle voulait sûr mais ses jambes tremblantes la trahissaient trop souvent… Et ce cri silencieux qui emplissait sa tête… Blanc !
Phoebus sentait la chaleur de son corps s’évanouir en même temps que le froid glacial l’envahissait. Mais il marchait, regardant droit devant lui, avec dans les yeux la rage des vainqueurs. Quand ses jambes fléchissaient, il se mettait à genoux et hurlait. Ses cris résonnaient en mille échos sur les montagnes blanches, lui redonnant la force de marcher. Mais ses cris ne couvraient pas celui qui résonnait impitoyablement dans sa tête. Noir !
Plus Gaïa avançait, plus son corps se consumait. Il semblait ne plus lui appartenir. Les yeux vides et baignés de larmes que le soleil écrasait aussitôt, elle marchait. Une montagne, plus haute encore que les autres, plus abrupte et plus noire, lui barrait le passage. Sentant ses forces diminuer, elle s’allongea aux pieds de la montagne. Mais elle ne pouvait renoncer, la voix hurlait maintenant dans sa tête. Blanc !
Phoebus sentait son corps s’engourdir, son visage était glacé et le blanc de plus en plus éclatant. Montagnes après montagnes, il avançait, jusqu’à ce qu’un roc, plus haut que les autres brise son élan. La rage dans ses yeux s’éteignait un peu plus à chaque pas mais la voix dans sa tête, aiguë et tranchante, le rappelait à son devoir, devoir dont il ne connaissait ni le but, ni la signification. Noir !
Les pas rythmés par les échos dans sa tête, Gaïa entreprit de gravir la montagne, tout en essayant de chercher dans sa mémoire envahie par le chaos la raison de sa présence ici. Mais elle ne trouvait rien, pas de souvenirs, comme si elle était née ici, adulte, dans ce monde dantesque, sans autre raison qu’un choix du destin. Penser lui faisait oublier la douleur. Elle marchait le regard baissé vers le sol, fermant les yeux quand le noir de jais lui embrumait le regard. Elle dépassa les nuages noirs et la chaleur se fit plus violente encore. Là, à quelques mètres d’elle, elle voyait une vitre, une grande vitre transparente qui cachait un autre monde, un monde tout … blanc. Elle tomba à genoux, incapable de se relever. Elle rampa sur quelques mètres et le cri s’arrêta dans sa tête. Elle posa son visage sur la terre brûlante et se mit à pleurer, couchée là, à quelques centimètres de cette plaque de verre infranchissable.
Phoebus, rassemblant ses dernières forces, brava le froid et grimpa cette ultime montagne. Il dépassa les nuages blancs et son regard fut attiré par une étrange noirceur, noirceur déroutante mais effroyablement attirante. Une plaque de verre cristalline et inviolable lui faisait découvrir un monde noir et brûlant. Et là, tout près de la vitre, une jeune femme aux yeux clos et fatigués semblait l’attendre, allongée sur le sol depuis trop longtemps. Le cri s’était tu dans sa tête sans même qu’il ne s’en rende compte. Il tomba à genoux et regarda le corps inerte de cette jeune femme qu’il ne connaissait pas mais qu’il aimait déjà. Il la croyait morte. Pourtant…
Dans un ultime effort, Gaïa tendit la main qu’elle posa sur la plaque de verre qui la séparait de ses souvenirs, de son avenir. Phoebus approcha sa propre main de la vitre qui disparut en une cascade d’étoiles. Gaïa sourit et ferma les yeux. Le blanc et le noir se complétèrent pour se transformer en un arc-en-ciel de vie, le chaud et le froid se muèrent en une douce brise. Phoebus s’approcha de son corps inerte et caressa son visage. Ses doigts, sa main, son bras puis son corps tout entier se désagrégèrent en une pluie d’or. Le Soleil se mit à briller. Des larmes de joie coulèrent des yeux renaissant de Gaïa. Ses rivières de larmes bénies vinrent caresser les forêts qui naissaient dans ses mains. Gaïa courba son corps en boule et le Soleil vint l’inonder de sa douce clarté.
Ainsi naquit la Terre…